Clause de départ et fixation du loyer dans les coopératives d'habitation : des clarifications requises.
En 2024, la question des droits des membres exclus ou démissionnaires dans les coopératives d’habitation faisait l’objet de deux jugements contradictoires : l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Dumberry, et le jugement de la Cour du Québec (division administrative et d’appel) dans l’affaire Coopérative La Bonne Entente.
Rendus à quelques semaines d’intervalle, ces jugements illustrent une position oscillante des tribunaux sur cette question, entre la protection des droits des locataires prévus dans le bail, et l'autonomie des coopératives fondée sur la relation contractuelle avec leurs membres.
L’arrêt Dumberry de la Cour d’appel du Québec
Après son exclusion en 2020 à la suite de manquements disciplinaires, la locataire Dumberry saisissait la Cour supérieure afin de déclarer nulles la clause de départ adoptée par sa coopérative. En 2022, la Cour supérieure lui donnait raison en déclarant la clauses illégale, tout en maintenant cependant son exclusion. Elle pouvait donc demeurer dans son logement, à titre de locataire non-membre de la coopérative.
En appel, la Cour d’appel prend un approche différente. Elle tranche la question de la compétence, décidant que seul le Tribunal administratif du logement (TAL) pouvait juger de la validité d’une clause de départ imposant à un ex-membre de quitter son logement. Elle conclut donc que cette affaire ne relève pas de la Cour supérieure mais du TAL, puisque la véritable nature du litige concerne le droit au maintien dans les lieux de la locataire, c’est-à-dire une question locative.
Quant aux clauses de départ, la Cour d’appel rappelle que le droit au maintien dans les lieux, prévu à l’article 1936 du Code civil du Québec, est d’ordre public. Toute clause restreignant ce droit, notamment dans le contexte d’une exclusion ou d’une démission d’un membre, doit être interprétée de manière restrictive.
Dans ses commentaires, la Cour est aussi d’avis que les locataires non-membres d’une coopérative peuvent aussi s’adresser au TAL pour faire fixer leur loyer, contrairement aux membres qui sont régis par l’article 1955 du Code civil du Québec, interdisant dans leur cas une telle fixation judiciaire du loyer (interdiction reprise à la clause F du bail, lorsque celle-ci est dûment complétée).
Coopérative La Bonne Entente : une perspective moins favorable aux locataires non-membres
Quelques semaines avant l’arrêt Dumberry, la Cour du Québec, siégeant en appel, rendait un jugement infirmant la décision rendue par le TAL en 2023 dans l’affaire Coopérative La Bonne Entente. Les hasards du calendrier et certains commentaires divergents entre les deux affaires militent pour considérer ce jugement de la Cour du Québec comme un contrepoids à l’approche choisie par la Cour d’appel.
Dans son jugement, la Cour du Québec conclut qu'un locataire ayant démissionné de la Coopérative ne bénéficiait pas du droit de faire fixer son loyer par le TAL, en référant à l’article 1955 du Code civil du Québec et à la clause F du bail examiné. La Cour estime que cette interprétation est logique et évite à toutes fins une situation injuste : le locataire qui se retirerait volontairement de la coopérative en démissionnant ne devrait pas se voir accorder plus de droits que le membre actif dans cette même coopérative, lequel s’investit bénévolement dans le fonctionnement collectif de sa coopérative.
Selon des commentaires additionnels, que le maintien dans les lieux ne lui était pas permis, conformément aux stipulations contractuelles et aux articles 1945 et 1955 du Code civil du Québec. En effet, contrairement à l’analyse de la Cour d’appel dans Dumberry, les commentaires de la Cour du Québec s’alignent sur ceux de son jugement rendu en 2004 dans Coopérative d’habitation Le Rouet, validant les clauses contractuelles qui prévoient la non-reconduction du bail d’un locataire exclu, ou démissionnaire.
La Cour du Québec infirme donc la décision du TAL, tout en s’éloignant de l’approche adoptée par la suite par la Cour d’appel dans l’arrêt Dumberry.
La relation contractuelle avec le membre et le modèle coopératif
Avec égards, les conclusions de la Cour d’appel dans Dumberry minimisent l’importance du contrat liant un membre à sa coopérative, qui selon nous, devait primer et constitue le cadre principal dans l’analyse des faits.
En pratique, une telle lecture du droit soulève des enjeux considérables. Rappelons que le lien entre un membre et sa coopérative n’est pas seulement locatif : il repose sur un contrat d’adhésion aux règlements, aux décisions collectives, à une implication bénévole et à une gouvernance partagée. Ce lien est fondamentalement distinct de celui entre un locataire et son propriétaire. C’est ce lien contractuel qui autorise justement la coopérative à fonctionner de manière démocratique, à s’autogérer et à offrir des loyers plus abordables que ceux du marché locatif.
En vidant ce lien de sa portée juridique, on affaiblit l’architecture même du modèle coopératif. Que ce soit quant aux clauses de départ ou quant à l’interdiction de recourir au TAL pour déterminer le loyer, le risque est sérieux de voir des locataires démissionner et contourner ainsi les obligations rattachées au statut de membre, tout en conservant paradoxalement plus de droits et moins de contraintes que des membres pleinement impliqués.
Or, il faut le rappeler, c’est précisément la participation des membres qui permet aux coopératives de continuer à remplir leur mission sociale et d’exister.
Dans un contexte où les coopératives font face à des enjeux importants — crise de l’accès au logement abordable, fluctuations à la hausse des loyers sur le marché locatif mais aussi leurs obligations de financer la conservation de leurs immeubles — il est légitime que celles-ci déterminent elles-mêmes leurs loyers applicables, sans que le tribunal ne se saisisse de cette question, hormis dans des cas d’augmentation de loyer illégale. Récemment, la Cour supérieure rappelait ce principe dans son jugement Fogaing, en appliquant dans une décision étoffée les principes énoncés dans plusieurs arrêts de la Cour d’appel quant à la compétence des tribunaux.
Des clarifications requises
Nous croyons que l’arrêt de la Cour d’appel dans Dumberry a ouvert la voie à des interprétations qui créent un déséquilibre préoccupant dans l’interprétation des droits des membres de coopératives d’habitation. L’autorité de cet arrêt étant acquise et devant être respectée par le TAL, sur le long terme, ce déséquilibre sera de nature à fragiliser le fonctionnement des coopératives d’habitation. Au mois de février 2025, la Cour du Québec autorisait dans Coopérative d'habitation des Lilas de Montréal l’appel d’une décision du TAL rendue en 2023, cette dernière fixant alors le loyer d’un locataire non-membre. La question des droits des locataires non-membres pourrait donc susciter encore des débats potentiels, cette fois en tenant compte de l’orientation prise par la Cour d’appel dans Dumberry.
Il n’en demeure pas moins vrai que tant que le législateur ne précisera pas clairement le régime juridique applicable à la relation entre les coopératives d’habitation et leurs locataires non-membres, les tribunaux pourraient rendre des décisions parfois divergentes ou contradictoires. Le pendule pourrait donc continuer à osciller encore quelques temps avant de se stabiliser si le législateur décidait de dissiper ces ombres juridiques dans la Loi sur les coopératives.
Afin de pérenniser le modèle coopératif et renforcer ces fondements, il importe de réaffirmer dans la loi - et le Code civil du Québec - l’importance du caractère distinctif des coopératives d’habitation. L’interprétation et l’analyse par les tribunaux des droits et des obligations de leurs résidents en dépendra largement.
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